Atteint d’un lourd handicap visuel, Pierre Calore a présidé durant une année le conseil communal d’Aigle. Il est revenu, sans aucun tabou, sur cette expérience unique, qui s’est terminée il y a quelques jours.
Pierre Calore a décidé de faire de son handicap une force. L’Aiglon d’adoption est atteint de la maladie de Stargardt, une dégénérescence précoce de la rétine, qui affecte la partie responsable de la vision centrale. Maladie qui a réellement commencé à le gêner à l’âge de 25 ans, et l'a alors forcé à arrêter de conduire. « Je peux cuisiner, faire le ménage… Mais je ne vois pas tout ce que je fixe. Il m’est donc très difficile de lire, mais aussi de reconnaitre les gens dans la rue par exemple », explique celui qui exerce la profession de masseur. Son résidu visuel actuel de 5% ne l'a pas empêché de se lancer en politique.
Une élection mouvementée
L’actuel président de la section vaudoise de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants a adhéré au parti socialiste d’Aigle en 2015, avant d’être élu une année plus tard au conseil communal. Mais pas du premier coup. « J’étais le premier des viennent-ensuite, avec seulement une voix d’avance sur mon colistier », rigole Pierre Calore. « Par chance, nous avons été les deux élus, à la suite de deux désistements ». C’est là que l’aventure commence pour le cinquantenaire au sein du législatif aiglon. « Je n’ai pas eu d’appréhension à entrer en politique dans ma commune. Malgré mon handicap, je savais que nous avions des outils informatiques, et que je réussirais à m’en sortir », indique Pierre Calore. Il décide alors de s’inscrire au bureau du conseil, et devient deuxième vice-président du conseil, puis premier vice-président. Notre interlocuteur devient président le 1er juillet de l’an dernier.
Un poste dans la lumière
Un poste prestigieux, qui n’était pas une priorité pour Pierre Calore. « Honnêtement, j’aurais bien rigolé il y a dix ans si on m’avait dit que je finirais là », avoue-t-il. Mais, avec cette opportunité, celui qui a longtemps vécu à Renens souhaite relever un défi, et montrer l’exemple. « Au sein de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants, on se bat tous les jours pour l’inclusion et l’autonomie des personnes en situation de handicap. J’avais donc l’occasion de montrer que oui, c’était possible de présider un conseil communal avec ma maladie. »
S’est alors posée la question suivante : comment adapter cette fonction avec une vision extrêmement réduite ? Très compliqué pour le nouveau président de lire les textes soumis à la votation, et impossible de voir les mains qui se lèvent dans l’assemblée des 70 conseillers communaux.
Plusieurs petits aménagements ont ainsi été mis en place. « On pouvait faire ce qu’on voulait, puisqu’aucun texte de loi ne prévoit d’adaptations dans mon cas précis. » Le président a ainsi pu compter sur l’aide d’un scrutateur, placé à côté de lui lors des séances, qui avait pour rôle de lire pour lui certains textes, et de lui souffler à l’oreille qui demandait la parole lorsqu’une main se levait.
Des collègues compréhensifs
Une aide évidemment bienvenue pour Pierre Calore, qui a ainsi pu présider de manière « presque » normale. « Je tiens réellement à remercier mes collègues pour cette année de présidence. Je les ai trouvés plus disciplinés qu’à certaines occasions, ils n’ont pas parlé sans qu’on leur accorde la parole… Peut-être en raison de mon handicap, oui, mais peut-être aussi en raison de ma personnalité », indique-t-il.
Si au niveau extérieur tout s’est bien passé, Pierre Calore ne cache pas qu’à l’intérieur cependant, il lui arrivait de bouillonner. « Quand on ne voit rien, on a peur de louper quelque chose. Une erreur de ma part, et il peut y avoir un recours… Et ce n’est pas le but. Il faut que tout se passe dans les meilleures conditions ! Rappelons que nous sommes là pour la population aiglonne ». Le mandat de Pierre Calore s’est officiellement terminé le 30 juin dernier, deux jours après avoir présidé sa dernière séance au Château d’Aigle. Séance lors de laquelle, il a reçu une standing-ovation de la part de l’entier du conseil, et de la Municipalité.
« Ce fut un honneur »
Rencontré il y a quelques jours, Pierre Calore n’arrivait pas encore à pleinement réaliser ce qu’il avait accompli. « Je suis sûrement trop modeste pour être fier de moi. Mais qui sait ? Peut-être que dans quelques temps, j’arriverai à me dire que j’ai réussi quelque chose », a-t-il avoué. Celui qui se bat pour l’initiative pour l’intégration des personnes en situation de handicap lancée dernièrement retient tout de même de nombreux aspects de son année présidentielle : un développement personnel, de nombreux contacts humains, mais surtout un honneur d’avoir représenté la commune.
Pense-t-il avoir aidé à ouvrir une voie vers l’inclusion ? « Je ne sais pas. Mais je sais que j’ai impressionné certains de mes collègues, et j’espère qu’ils s’en souviendront longtemps. »
Une chose est sûre : Pierre Calore a réussi à montrer que, oui, « c’est possible ».
L'interview complète de Pierre Calore :